Exclu. on a vu “20 000 jours sur Terre”, le Nick Cave movie
Ă lire aussi.
Tous les articles
sur Nick Cave
Le vieux rĂ©veil de voyage sonne Ă 7 heures. Nick Cave est dans de beaux draps. câest le matin de son 20 000Ăš jour sur terre, et il va en faire un film, le film de sa vie, quâil a coĂ©crit et dont il est le narrateur. Ce quâon pouvait attendre dâun docu classique sur un musicien â un rĂ©cit chronologique Ă base dâimages dâarchives â est compressĂ© dans lâĂ©nergique gĂ©nĂ©rique. AprĂšs, câest autre chose. Un film conçu comme une journĂ©e dans la vie dâun homme, avec des moments de travail, des dĂ©placements dans lâespace, des repas, des rencontres, des rĂȘves, et le souvenir des 19 999 jours qui ont prĂ©cĂ©dĂ©.
On voit dâabord Nick Cave sortir du lit (pas un poil de graisse sur sa grande carcasse) dans sa grande maison de Brighton (dans la mĂȘme piĂšce que sur la pochette de lâalbum Push The Sky Away ), puis commencer sa journĂ©e de travail, concentrĂ© derriĂšre une antique machine Ă Ă©crire. Son rĂ©pondeur tĂ©lĂ©phonique est aussi un vieux truc Ă cassettes, qui lui rappelle quâil a rendez-vous chez le psy. Beaucoup moins bougon que face Ă un journaliste, Nick Cave dĂ©terre son premier amour, une fille aux cheveux trĂšs noirs et au visage trĂšs blanc (comme sa future Ă©pouse Susie BickâŠ). Il se souvient aussi de son pĂšre qui lui avait fait dĂ©couvrir lâincipit du Lolita de Nabokov. Et quâil sâamusait Ă se dĂ©guiser en fille.
Son rapport Ă Dieu et Ă la religion est compliquĂ©, il raconte que la pĂ©riode oĂč il est le plus allĂ© Ă la messe, câest quand il Ă©tait dans la dope. Transgressions fondatrices⊠Son psy lui demande ce quâil redoute le plus. la perte de mĂ©moire. Perdu Ă lâintĂ©rieur de lui-mĂȘme quand il Ă©voque son pĂšre, disparu alors quâil avait 19 ans.
Un voyage dans la mémoire de Nick Cave
Le film devient alors un voyage dans la mĂ©moire de Nick Cave, et la plus belle maniĂšre de la fixer. LâAustralie et Berlin sont Ă©voquĂ©s lors dâune rencontre avec des archivistes, Ă travers des photos commentĂ©es (ce qui donne lieu au passage le plus hilarant du film, quand Nick explique cette sĂ©rie de photos dâun concert de Birthday Party, quand un Allemand pissait sur scĂšne). Nick Cave a beaucoup bourlinguĂ©, en Australie, Ă Berlin, au BrĂ©sil (pas un mot dans le film), en Angleterre. “Ce sont les lieux qui vous choisissent”. dit-il. Tout le ramĂšne Ă Brighton et Ă ses environs, quâil parcourt au volant de sa Jaguar noire, pour aller manger des anguilles chez Warren Ellis en parlant de doctor Nina Simone, ou pour faire la route avec Blixa Bargeld ou Kylie Minogue, qui apparaissent dans la voiture comme des fantĂŽmes. A Kylie, Nick pose une question, une seule. “As-tu peur dâĂȘtre oubliĂ©e ?”, et la rĂ©ponse semble moins importante que la question.
A Brighton, avant la naissance de ses jumeaux (quâon voit dans une chouette sĂ©quence de cocooning en famille), Nick Cave a tenu un journal quotidien oĂč il parlait exclusivement du temps quâil fait, du climat, de la mĂ©tĂ©o. Une façon de contrĂŽler son humeur et le temps, de croire que son humeur pouvait contrĂŽler le temps. Une façon de repousser le ciel. Et plus il Ă©crivait, plus le temps Ă©tait pourriâŠ
Nick Cave a beau fĂȘter ses 30 ans de carriĂšre discographique avec les Bad Seeds, la musique nâest pas au cĆur de ce film, parcouru par une Ă©nergie assez rare, oĂč chaque plan semble justifiĂ©. La crĂ©ation est le vrai sujet. On voit Nick Cave pendant la gestation, puis la fabrication de lâalbum Push The Sky Away. Dâabord seul au piano seul avec ses carnets dâĂ©criture, puis au boulot avec Warren Ellis, puis avec les Bad Seeds, pendant lâenregistrement avec une chorale dâenfants français, puis sur scĂšne, dans deux sĂ©quences rares et trĂšs intenses. “Iâm transforming, Iâm vibrating⊠Look at me now. ”. chante-t-il dans Jubilee Street. On a regardĂ©, et on a adorĂ© ce film diablement bien rĂ©alisĂ©, qui ne ressemble Ă rien de connu dans le film musical â ni fiction ni biopic hagiographique. PlutĂŽt comme un nouveau chapitre dans lâĆuvre de Nick Cave, et pas des moindres. Sortie en salles le 17 dĂ©cembre.